Le Redoutable

SAUVE QUI PEUT (GODARD)?

«Jean-Luc Godard est un sujet biographique redoutable», écrit Antoine de Baecque en introduction à la biographie qu’il consacra au cinéaste, en 2010. Un constat sans doute partagé par Michel Hazanavicius qui, contant Godard en mai 1968, titre son film Le Redoutable. Mais l’auteur malicieux des OSS 117 et de The Artist, joue avec les allusions. Il s’inspire des deux livres (Une année studieuse et Un an après) d’Anne Wiazemsky sur ses années Godard, qui raconte :  Le 29 mars, à Cherbourg, le gouvernement français avait inauguré un nouveau sous-marin baptisé Le Redoutable. Le journal Le Monde lui avait consacré une pleine page et l’article concluait : « Ainsi va la vie à bord du “Redoutable”. » Cette phrase avait beaucoup diverti Jean-Luc qui la réutilisait à tout propos. Redoutable encore était, pour un réalisateur de comédies dites «populaires», d’oser s’aventurer sur les terres d’un cinéma dit «d’auteur», en s’emparant de sa figure la plus emblématique. S’attaquer à la statue du commandeur Godard, c’est risquer l’accusation de blasphème et le procès en illégitimité. Ce qui n’a pas manqué, au festival de Cannes où le film a été présenté.

Pourtant, si Le Redoutable n’est pas au sens strict un exercice d’admiration, il s’en approche. Beaucoup. Couleurs, cadrages, mouvements de caméra, chaque plan ou presque est un clin d’œil au cinéma du maître et, quand il ne l’est pas, il reste godardien en diable. Michel Hazanavicius, fin cinéphile et raffiné pasticheur, s’amuse avec les références sans jamais surligner. C’est l’un des plaisirs de cette comédie ludique et virevoltante, qui parle aussi d’amour, plonge dans les exaltations de mai 68 et dresse le portrait du cinéaste Godard qui questionne son art jusqu’à désavouer son propre cinéma. Le portrait, aussi, de l’homme Jean-Luc, avec ses certitudes et ses doutes, ses emportements, son égoïsme ordinaire, son intelligence aiguë et son humour désarmant. Agaçant, peut-être, mais émouvant aussi, il est, à l’écran, un éblouissant Louis Garrel, qui l’incarne avec un mimétisme subtilement distancié.

Œuvre chaleureuse, Le Redoutable redonne vie à une petite communauté attachante au casting juste et impeccable. Anne Wiazemsky, bien sûr, dont l’interprète, Stacy Martin, évoque davantage, frange et visage, Chantal Goya (actrice dans Masculin-féminin), mais aussi Michel Cournot (Grégory Gadebois), Michèle Rosier (Bérénice Béjo), Jean-Pierre Bamberger (Michal Lescot), Jean-Henri Roger (Arthur Orcier), Jean-Pierre Gorin (Félix Kysyl).
Et puis, hommage et malice mêlés, Jean-Pierre Mocky (qui apparaît dans Prénom, Carmen et Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma) et Romain Goupil (qui l’assista) offrent de savoureuses apparitions.
Et le film, joyeuse comédie aux tonalités mélancoliques, se termine sur une voix off. On reconnaît, avec émotion, celle de Michel Subor, naguère Petit soldat.

 

de Michel Hazanavicius
avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Béjo, Micha Lescot, Grégory Gadebois, Félix Kysyl, Arthur Orcier
durée : 1h42
sortie le 13 septembre 2017

A voir sur l’excellent Blow Up, d’ARTE :
Jean-Luc Godard en 9 mintes : http://cinema.arte.tv/fr/article/jean-luc-godard-en-9-minutes

et les réponses de Michel Hazanavicius au «Questionnaire cinéphile» du magazine
http://cinema.arte.tv/fr/article/michel-hazanavicius